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Le canal du centre

Le canal du Centre] sert principalement au transport des vins des départements méridionaux, du Mâconnais et d’une partie de la Bourgogne, pour l’approvisionnement de Paris, et lequel transport, joint à celui des eaux-de-vie, figure pour à peu près les trois cinquièmes dans le produit total du canal ; il circule aussi une très grande quantité de merrains, de cercles, d’échalas, de charbons de bois et de terre, de bois de chauffage, de sciage et de charronnage, de fer, de fonte, de blé, de légumes secs, de meules de moulins, de plâtre et de terre à bâtir. C’est encore par cette communication que se débitent, tant pour Paris que pour l’intérieur de la France, les charbons des mines du Creusot, si recherchés dans le commerce pour leur excellente qualité. Le mouvement des bateaux sur le canal est annuellement de quatre à cinq mille.
L’histoire de ce canal permet de pointer quelques-unes de ses particularités. C’est, à l’origine, l’œuvre d’un seul homme, Émiland-Marie Gauthey. Œuvre sans cesse modifiée au cours du temps, pour s’adapter aux demandes, elle a complètement transformé le territoire qu’elle traverse.
Le canal du Centre, aussi connu comme canal du Charolais, relie les vallées de la Loire et de la Saône. Il a été créé entre 1783 et 1793 par la volonté des États de Bourgogne sur le projet de son ingénieur en chef Émiland Gauthey. Il a établi la jonction entre la Saône à Chalon-sur-Saône et la Loire à Digoin.
Il a été modernisé à la fin du xixe siècle dans le cadre du plan Freycinet. Il comportait, sur ses 114 km, 64 écluses de part et d’autre du bief de partage de Longpendu ; les péniches pouvaient être chargées à 300 tonnes. Le problème de l’alimentation en eau a été résolu par la création progressive de réservoirs d’alimentation et, dans les années 1950, par des chaînes de pompage.
Il a favorisé l’industrialisation de la dépression DheuneBourbince en attirant sur ses rives de nombreuses entreprises de matériaux de construction dont la tuile a connu la plus large diffusion et la céramique a été la plus emblématique. Elles étaient surtout concentrées aux deux extrémités du canal autour des pôles de Digoin-Paray-le-Monial et de Chagny. Plus encore, le canal a permis l’exploitation massive et durable du bassin houiller dit de Blanzy dans sa partie centrale où est née la ville de Montceau-les-Mines ainsi que le développement du pôle sidérurgique du Creusot. Le déclin de la navigation a commencé après la Deuxième Guerre mondiale et a été accéléré par la concurrence du rail et de la route. L’épuisement du gisement de charbon des Houillères du Bassin de Blanzy a signé l’arrêt définitif du trafic de marchandises à partir de 1993.
De nos jours, le canal reste une remarquable valeur patrimoniale et a trouvé une nouvelle vocation dans le tourisme nautique, du mois d’avril au mois de septembre, localement sous la forme de croisières autour de Digoin mais les plaisanciers au long cours peuvent transiter sur l’ensemble du territoire national.

Pont canal sur la Loire à Digoin (71)

Junctio triplex

On était conscient, à Dijon, de la situation géographique privilégiée de la province. Mais la première difficulté résultait de l’embarras même qui en découlait et de la priorité à établir entre les différentes liaisons possibles. En 1784 sera frappée la médaille annonçant ambitieusement : « Utriusque maris, junctio triplex » – triple jonction entre l’une et l’autre mers : les écluses du canal du Charolais expliciteront cette expression par leur dénomination, Océan sur le versant ligérien ; Méditerranée sur le versant rhodanien. Dans l’esprit des autorités, la liaison avec le Rhin par la Porte de Bourgogne entre Vosges et Jura n’était sûrement pas prioritaire d’autant qu’elle supposait la collaboration de la Franche-Comté. De surcroît, c’est le marché parisien qu’il s’agissait de mieux desservir. De fait, seul devait être amorcé en 1784 le court tronçon entre Saint-Jean-de-Losne sur la Saône et Dole sur le Doubs. Son prolongement jusqu’au Rhin ne sera terminé qu’en 1832. Mais en direction de Paris, l’option restait ouverte soit d’une jonction directe avec le bassin de la Seine par le seuil de Bourgogne soit d’une jonction indirecte par la dépression DheuneBourbince, la Loire et le canal de Briare

Le triomphe du technicien

Le choix de la deuxième solution devrait paraître évident au seul énoncé de ces données comparatives : une longueur de 114 km pour le canal du Charolais (notre canal du Centre) contre 183 pour le canal de Bourgogne ; des dénivellations respectives maximales de 130 et de 200 mètres entre le point le plus bas et le bief de partage des eaux ; 80 écluses contre 1834. Restait à convaincre le tout puissant Perronet, fondateur de l’École nationale des ponts et chaussées, qui mettait en doute la possibilité d’une alimentation suffisante du canal du Charolais au bief de partage des eaux. « Les 300 pouces d’eau que peut donner l’étang de Longpendu sont insuffisants face aux 1 500 pouces que l’on peut rassembler au seuil de Pouilly-en-Auxois » Il pouvait compter, bien entendu, sur l’appui des autorités de la ville de Dijon, placée sur le tracé du canal. Finalement, Gauthey fit prévaloir son point de vue en levant cette objection alors qu’on lui opposait encore les médiocres conditions de navigation entre les bancs de sable mouvants dans le lit naturel de la Loire entre Digoin et l’entrée du canal de Briare, le halage impossible sur les rives du fleuve. De leur côté, les Chalonnais ne pouvaient qu’applaudir à ce choix d’autant que leur ville avait été retenue comme point d’aboutissement alors que la solution la plus naturelle aurait été de suivre le cours de la Dheune jusqu’à son confluent avec la Saône à Chauvort. Il n’était plus question désormais du canal de Bourgogne dont seule devait être amorcée en 1781 la courte section entre Saint-Jean-de-Losne et Dijon.
L’entreprise paraissait gigantesque pour l’époque : 114 km de tranchées, 80 écluses, 71 ponts, 76 aqueducs, 3 rigoles d’alimentation, 68 maisons d’éclusiers, 125 aqueducs sous le canal5. Il fallait prouver la rentabilité d’un tel investissement. Le colonel Charles-Antoine Brancion et son frère, le capitaine Pierre-Anne, avaient été les premiers à établir un bilan estimatif des dépenses et des recettes dès qu’ils eurent été autorisés en 1775 à lancer ce projet avant d’obtenir en 1781 la caution des États de Bourgogne. Lorsqu’il s’est livré à la même étude, Gauthey n’est pas apparu comme leur concurrent et ils en sont venus même à collaborer. Son mémoire de 1778 est, ce qu’on pourrait appeler avant l’heure, une véritable étude des marchés lyonnais et parisien. Étaient estimées avec précision les quantités de vins, bois, charbon de terre (dont l’exploitation avait commencé dans le secteur de MontcenisLe Creusot) accessoirement le fer des forges, le seigle… qui nourriraient le trafic et donc les revenus tirés des droits de péage. Il restait à emporter la conviction des États de Bourgogne puis l’aval du pouvoir royal. Dès 1779 l’Assemblée des Ponts et chaussées avait émis les plus grandes réserves sur la validité du projet des frères Brancion. On en est même venu à s’interroger sur leur capacité à verser dès le démarrage des travaux les indemnités d’expropriation. Au terme de longues tergiversations, après que les députés du Commerce eurent exprimé le vœu que la province aille chercher une compagnie plus riche et plus sûre, ou mieux, que la province elle-même emprunte pour son propre compte, le contrôleur général des finances Jean-François Joly de Fleury trancha en faveur des États de Bourgogne. Un édit royal de janvier 1783 vint confirmer cette décision. Vaines furent les protestations des frères Brancion auprès des États en juillet 17847. Mais Gauthey était automatiquement désigné pour la conduite des travaux. Le succès de l’emprunt bénéficia du concours inattendu du gouverneur de la province, le prince Louis-Joseph de Condé qui ne s’est pas cantonné, en l’occurrence, dans son rôle de militaire. On en jugera par le fait que les souscripteurs ont afflué en très grand nombre de… Chantilly, sa résidence habituelle. Mais le plus célèbre d’entre eux est sans doute le naturaliste Buffon, natif de Montbard.

Ancienne écluse à Ecuisse (71)                                                                                            Pont levant à Montceau les Mines (71)

​La main-d’œuvre

Le maréchal de Ségur, ministre de la guerre, autorisa l’emploi de la troupe et les premiers travaux furent exécutés pendant trois ans sur deux chantiers : du côté de Chalon par le régiment de Monsieur, frère du roi, venu de Metz et, du côté de Paray-le-Monial, par le régiment du Beaujolais. L’effectif était renouvelé en principe tous les quinze jours.
Ces 750 soldats sans qualification réalisèrent uniquement des terrassements. La main-d’œuvre civile (on disait les pionniers) recrutée sur place était constituée en équipes sous la conduite de maîtres-pionniers. Les ouvrages d’art comme les écluses furent confiés à des entrepreneurs aux compétences reconnus venus pour beaucoup du Velay et d’Auvergne. Au total, jusqu’à 1 200 ouvriers s’activèrent simultanément sur le chantier. Depuis son quartier général de Bissey-sous-Cruchaud Gauthey veilla avec le plus grand soin à l’avancement régulier des travaux, au règlement des salaires, à la prise en charge des malades et des accidentés par les hôpitaux aux frais des États de Bourgogne.

​Bilan

Les souscripteurs y ont-ils trouvé leur compte ? La question reste posée. En revanche, à terme, le pari de Gauthey s’est révélé remarquablement justifié. Grâce au canal du Centre, l’axe Dheune-Bourbince devait connaître au xixe siècle et jusqu’aux années 1950 un développement considérable. L’exploitation du bassin houiller du Creusot-Blanzy-Montceau-les-Mines s’en est trouvée grandement facilitée. Et il est normal d’attribuer au canal le développement de nombre d’activités induites, en particulier la métallurgie du Creusot et les industries telluriques (faïenceries, fabriques de briques et tuiles) qui ont prospéré de Chagny à Digoin sur les berges du canal.

​Caractéristiques physiques

Le tracé du canal du Centre a été dicté par les conditions naturelles du relief et de l’hydrographie. Il emprunte la dépression hercynienne nord-est/sud-ouest drainée par la Dheune en direction de la Saône et par la Bourbince en direction de la Loire. Seule exception notoire : à Chagny il cesse d’emprunter la vallée de la Dheune jusqu’à sa confluence avec la Saône à Chauvort et prend la direction du sud-est pour rejoindre la rivière à Chalon-sur-Saône en suivant le cours de la Thalie. Gauthey pouvait justifier son choix par des considérations financières : l’itinéraire est réduit de plusieurs kilomètres pour la navigation en direction de l’axe séquano-rhodanien. Les importants droits de péage perçus à l’époque entre Verdun-sur-le-Doubs et Chalon seraient évités. On s’accorde cependant pour reconnaître que Gauthey, très attaché à sa ville natale, s’est conformé aux sollicitations pressantes du lobby chalonnais.
Le profil en long est très dissymétrique de part et d’autre du seuil de partage des eaux à l’étang de Longpendu dont le bief de 4 km est à l’altitude de 301 mètres. Sur le versant Méditerranée (c’est le nom officiel), la Saône coule à l’altitude de 179 mètres et la dénivellation à rattraper est de 112 mètres sur une distance de 48 km. La pente est donc beaucoup plus accentuée que sur le versant Océan (autre dénomination officielle) long de 62 km en direction de la Loire, dont le lit naturel est à 223 mètres. Mais la dénivellation de 78 mètres a été ramenée à 66 mètres en 1835 : cette date est celle de la création du pont-canal dans le cadre des travaux du canal latéral à la Loire et la descente directe dans le lit du fleuve a alors été abandonné.
En exécution du plan Freycinet le canal du Centre comportait 63 écluses, au lieu des 83 d’origine, distantes en moyenne de 1 700 mètres. Mais on retrouve l’opposition entre les deux versants. Du côté Méditerranée les écluses sont plus nombreuses (37) et les écarts plus grands et plus grandes les différences : on y trouve à la fois le bief le plus long (11 km) entre Saint-Gilles et l’aval de Chagny et le plus court . Dans sa partie la plus accidentée au droit de la commune de Saint-Léger-sur-Dheune, 7 écluses se succèdent sur 4 km (8 avant Freycinet). On ne compte plus que 26 des 30 écluses d’origine sur le versant Océan, depuis la suppression des quatre par lesquelles le canal se raccordait alors avec le lit de la Loire.
Les conditions de la navigation découlaient des normes retenues par le plan Freycinet : longueur des écluses de 38,5 mètres, largeur de 5,20 mètres. La profondeur des biefs (le mouillage) est de 2,20 mètres mais le tirant d’eau était limité à 1,8 mètre avec une marge de 40 cm sous la quille (le pied de pilote). Sous les ponts la hauteur libre était de 3,70 mètres. La péniche classiquement adaptée à ces normes pouvait charger à 300 tonnes. La vitesse de circulation, depuis la généralisation des péniches automotrices qui avaient succédé au halage depuis la berge, était limitée à 6 km/h. Précaution fort utile afin d’éviter l’érosion des berges par batillage. Cette vitesse était naturellement plus réduite aux approches d’une écluse, voire sur la longueur d’un bief entier trop court pour une montée en régime de croisière. Il fallait compter au total un minimum de 3 jours pour les péniches en transit.
On trouvera une consolation à ces performances qui paraissent peu flatteuses par comparaison avec les axes fluviaux majeurs en rappelant que le canal de Bourgogne, mis en service en 1832, dont on avait pensé faire le concurrent du canal du Centre, a des caractéristiques plus handicapantes : une longueur de 242 km, une dénivellation de 295 mètres du côté du réseau de la Seine à rattraper par 189 écluses ; de 196 mètres du côté de la Saône avec 83 écluses. Le seuil de partage des eaux de Pouilly-en-Auxois est, en effet, à 378 mètres. Encore est-il franchi par un tunnel de 3,3 km dans lequel les péniches, qui ont interdiction d’utiliser leur moteur, étaient tractées par un toueur.

Ancien toueur électrique